vendredi 11 novembre 2011

Illustrations pratiques de certaines vertus de la finance islamique

L’objectif de cet article est de démontrer via des exemples simples certaines vertus de la finance islamique. On va essayer de prouver que ce mode de financement réussit -sous réserve de rationalité des investisseurs- à amener un équilibre économique grâce à sa principale caractéristique : le traitement équitable de toutes les sources de financement.
On va travailler sur des exemples simples du financement d’une usine U mono produit P, en se plaçant dans un cadre de marché parfait. C’est-à-dire, que le marché peut absorber toute la quantité produite du produit P.
L’inventeur du produit P et propriétaire de l’usine U, monsieur A, dispose d’un capital de 100. Grâce à ce capital, il produit 100 pièce de P. Le coût de revient de chaque pièce est de 1. Il vend chaque pièce 1.10, ce qui lui rapporte un bénéfice total de 10.
Cas 1 :
Dans ce cas, on va supposer que l’usine U est utilisée à 100% de sa capacité quand elle produit 100 pièces. Le coût unitaire du produit P est de 1. Vu que monsieur A dispose d’un produit qui se vend très bien dans le marché, il décide d’investir dans un deuxième site U’. Les fonds propres de l’entreprise permettent uniquement de satisfaire le financement de l’usine U. Monsieur A décide donc, de recourir à un financement externe. Deux modes de financement sont possibles : le financement conventionnel et le financement islamique.
La banque conventionnelle a accepté d’octroyer à monsieur A un prêt de 100 à 5% de taux d’intérêt. L’institution financière islamique, quant à elle, finance l’usine de monsieur A en contrepartie de partager avec lui les bénéfices et les pertes de son entreprise. Croyant amplement à son produit, monsieur A peut se demander pourquoi il n’investirait pas dans plusieurs usines vu la grande demande du marché. Voici le tableau des bénéfices de l’entreprise de monsieur A en fonction du nombre d’usines dont elle dispose, dans les deux cas de financements :


Nombre usines
Conventionnel
Islamique
1
10
10
2
15
10
3
20
10
4
25
10
5
30
10
6
35
10
7
40
10
8
45
10

On remarque que le bénéfice de monsieur A est constant dans le cadre d’un financement islamique quel que soit le nombre d’usines. Alors que dans le cadre conventionnel, il engendre un bénéfice de 5 pour chaque usine supplémentaire.
Plaçons-nous maintenant dans un cas ou monsieur A est obligé de vendre au prix de revient c'est-à-dire 1. Le tableau des bénéfices dans ce cas est le suivant :
Nombre usines
Conventionnel
Islamique
1
0
0
2
-5
0
3
-10
0
4
-15
0
5
-20
0
6
-25
0
7
-30
0
8
-35
0

Plaçons-nous maintenant dans un scénario extrême. Monsieur A doit faire face à l’arrivé d’un concurrent étranger qui vend le produit P à 0.9. Il est obligé de s’aligner et de vendre à perte sa production au même prix de son concurrent étranger. Le tableau des bénéfices dans ce scénario est le suivant :
Nombre usines
Conventionnel
Islamique
1
-10
-10
2
-25
-10
3
-40
-10
4
-55
-10
5
-70
-10
6
-85
-10
7
-100
-10
8
-115
-10

A partir de ces trois exemples, on peut tirer les enseignements suivants :
-          Dans un scénario où le projet se déploie comme prévu, monsieur A peut s’enrichir à l’infini dans le cas du financement conventionnel. Alors que dans le cadre de la finance islamique il partage ses gains avec les autres sources de financement.
-          Dans un monde où seul le financement islamique est possible monsieur A n’a aucun intérêt à augmenter le nombre d’usines. Ceci est vrai si on suppose que monsieur A est un investisseur rationnel et que son usine est à 100% de ses capacités. L’investissement supplémentaire n’apporte à monsieur A aucun gain mais par contre une prise de risque plus élevée. La finance islamique limite donc, et d’une manière intrinsèque, la capacité de l’investisseur rationnel à monopoliser le marché. La finance islamique instaure donc, un environnement favorable à la concurrence, en limitant le potentiel de monopolisation du marché.
-          Dans un cas de manifestation de risques la structure de financement islamique résiste largement mieux. Cette résistance a des vertus très intéressantes :
o   Dans le cas du scénario extrême l’entreprise serait en faillite dans le cadre du financement conventionnel, et en difficultés supportables dans le cas du financement islamique. Ce mode de financement permettra à l’entreprise de pouvoir garder son savoir faire et de s’adapter aux nouvelles conditions du marché. Le financement conventionnel aurait été néfaste, dans le cadre de ce scénario, en détruisant le savoir faire de l’entreprise et en provoquant du chômage sans laisser aucune chance à l’entreprise de se ressaisir.
o   Le financement islamique responsabilise le financier. Ce dernier est, en effet, rémunéré à la réussite financière du projet et non à la solvabilité de l’entreprise.
Cas 2
Dans ce cas, on va supposer que l’usine U n’est pas à 100% de sa capacité. L’usine a une capacité de production de 500 pièce mais monsieur A ne dispose pas de fonds propres suffisants pour financer les charges variables de la production. Il décide donc, de recourir à un financement externe afin d’utiliser son usine à sa capacité maximale. Comme le cas précédant, la banque conventionnelle accepte de financier le projet avec de la dette à 5% de taux d’intérêt. Tandis que la banque islamique finance le projet en contre partie de partage des gains et des pertes. Les charges fixes de l’usine U sont à 50.
Voici le tableau et le graphique des bénéfices dans les deux modes de financement en fonction de nombre de pièces produites. On suppose ici que le prix de vente est de 1.1.

Nombre pièces
Conventionnel
Islamique
100
10.00
10.00
125
11.88
11.11
150
13.75
12.00
175
15.63
12.73
200
17.50
13.33
225
19.38
13.85
250
21.25
14.29
275
23.13
14.67
300
25.00
15.00
325
26.88
15.29
350
28.75
15.56
375
30.63
15.79
400
32.50
16.00
425
34.38
16.19
450
36.25
16.36
475
38.13
16.52
500
40.00
16.67


Imaginons maintenant le scénario de risque suivant : Le site du stockage du produit P a été ravagé par un sinistre qui a endommagé la moitié de la production.
Dans le cadre de ce scénario, voici le tableau et le graphique des bénéfices dans les deux modes de financement en fonction de nombre de pièces produites ; en supposant le même  prix de vente qu’auparavant : 1.1.

Nombre pièces
Conventionnel
Islamique
100
-45.00
-45.00
125
-56.88
-50.00
150
-68.75
-54.00
175
-80.63
-57.27
200
-92.50
-60.00
225
-104.38
-62.31
250
-116.25
-64.29
275
-128.13
-66.00
300
-140.00
-67.50
325
-151.88
-68.82
350
-163.75
-70.00
375
-175.63
-71.05
400
-187.50
-72.00
425
-199.38
-72.86
450
-211.25
-73.64
475
-223.13
-74.35
500
-235.00
-75.00



Dans ce scénario la société de monsieur A est en faillite dès les 200 pièces produites. Par contre elle n’est jamais faillite dans le cadre du financement islamique.
A partir de ces deux scénarios, on peut constater les éléments suivants :
-          Le profil des bénéfices est dans les deux modes de financement un profil croissant, qui incite l’entrepreneur à maximiser la capacité de production de son usine
-          Le profil des bénéfices est un profil logarithmique en fonction de la production dans le cadre du financement islamique. Dans le cadre du financement conventionnel le profil est linéaire.
-          Le profil logarithmique des bénéfices peut inciter l’entrepreneur à équilibrer le couple bénéfice/risque. En effet, le caractère logarithmique fait que le bénéfice croit moins vite que la croissance de la production.
Conclusion
Les exemples détaillés ci-dessus sont issus de réflexions personnelles sur le sujet de la finance islamique. Ils se sont inspirés de montages financiers simples que certain hommes d’affaires musulmans réalisaient afin de se financer sans recourir à la banque conventionnelle.
A partir des cas traités dans cet article, on peut retenir les enseignements suivants :
-          Le mode de financement islamique répartie au maximum les gains et les pertes
o   Ce mode financement responsabilise l’institution financière. En effet, dans ce mode de financement la banque est captivée par la rentabilité du projet et non par la solvabilité de l’entreprise financée.
o   Grâce à la répartition équitable des gains et des pertes, ce mode de financement est intrinsèquement solidaire.
o   Ce mode de financement limite intrinsèquement la destruction de la valeur et les faillites.
o   Ce mode de financement évite la concentration de la richesse et évite ainsi les risques systémiques
-          Le levier islamique incite à l’optimisation des capacités de production. Ceci induit donc la minimisation du gaspillage (voir cas 2)
-          Le levier islamique limite d’une manière intrinsèque la monopolisation du marché et crée un environnement économique propice à la concurrence (voir cas 1)

5 commentaires:

  1. Salam,

    Très bond exemple, ça permet de voir concretement comment le schéma de financement islamique peut-être plus saint et solide.

    Une petite question s'il vous plait: dans le cas 1 où Monsieur A vend à 1.1; pourquoi le bénéfice reste constant à 10 pour un financement islamique? prenons le cas de 2 usines, la première rapporte 10 pour Monsieur A (son usine initiale) et la 2éme fait un bénéfice de 10 aussi donc rapporte la moitié à Monsieur A et l'autre moitié à la banque => donc bénéfice total de 15 pour Monsieur A.
    J'ai peut-être mal compris quelque chose.
    Merci pour vos explications.

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  2. @paroux
    Si monsieur A apporte 10 et la banque apporte 10 chacun empochera le même bénéfice donc 10 chacun !

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  3. Merci pour votre réponse, mais je ne suis pas sûr d'avoir compris; laissez moi détailler mon raisonnement pour le calcul du bénéfice de l'entreprise de Monsieur A quand elle dispose de 2 usines:

    1- la 1ere usine U est financé par le capital (100) que détient déjà Monsieur A => son bénéfice qui est de 10 est totalement pour Monsieur A.

    2- La 2éme usine U' est financé par la banque islamique en contrepartie d'un partage des bénéfices (que l'on suppose ici à égalité entre A et la banque) => le bénéfice qui est aussi de 10 est partagé entre A et la banque, ce qui fait 5 pour chacun des deux.

    Conclusion: de 1 et 2 je déduirais que Monsieur A réalise un bénéfice de 15 = 10 + 5 dans le cas où il a deux usines. 10 provenant de l'usine financé par son propre capital, et 5 provenant de l'usine financé par la banque islamique.

    => d'où ma question sur comment on retrouve 10 de bénéfice que vous avez dans le premier tableau dans l'article.

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  4. @paroux
    Je suis d'accord avec toi dans le cas de financement que tu propose, ce qu'on appèle dans le vocabulaire de la finance islamique al moudarabah. Cela dit, je ne pense pas que la banque acceptera ce mode de financement pour les raisons suivantes :
    1/ Crainte de conflit d'intérêt. En effet, monsieur A pourra privilégier la première usine sur laquelle il a 100% de gain et 100% du risque au détriment de la deuxième usine sur laquelle il a 0 risque et 50% de bénéfice.
    2/ La banque prėfėrera largement une moucharaka où il partage le gain et le risque de l'ensemble de la structure, que 50% des bénéfices sur la deuxième structure et la totalité de la perte.
    Wa llahou a3lam

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  5. Bonjour,

    Je comprends mieux votre raisonnement, en fait ça suppose les deux hypothèses additionnelles suivantes:
    1- Une mousharaka où monsieur A participe dans la capital de chacune des usines de façon équirépartie en utilisant sont capital propre initial de 100.
    2- Le bénéfice est partagé suivant la participation au capital (au même pourcentage). (ce qui ne serait probablement pas le cas en réalité puisque monsieur A contribue au capital mais aussi gère l'entreprise et la fait tourner au quotidien, mais ça reste une hypothèse pour simplifier j'imagine).

    => ça donne dans le cas de N usines:

    une mousharaka où monsieur A contribue avec 100 et la banque contribue avec (N-1)*100 pour l'entreprise qui détient toutes les N usines; cela revient à dire une participation de 1/N*100 de la part de monsieur A dans le capital de chaque usine contre une participation de
    (N-1)/N*100 de la part de la banque.

    Ainsi pour les bénéfice ça donnera pour monsieur A: 1/N * bénéfice totale de l'usine, ceci pour chaque usine; donc 1/N *10 et quand on somme son bénéfice totale pour toutes les usines: N fois (1/N * 10) DONC une bénéfice total pour monsieur A égale à 10.

    Merci

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